Alain Weisbrod (1936-2005)

Alain Weisbrod nous a quittés le 18 octobre 2005 au terme d’une très longue maladie.

Alain était entré à l’Ecole de Géologie en 1956. Sorti 1er de sa promotion il fut nommé assistant à sa sortie de l’Ecole, et entama une thèse sur le cristallin des Cévennes médianes qu’il soutint en 1970 : « Pétrologie du socle métamorphique des Cévennes médianes. Reconstitution sédimentologique et approche thermodynamique du métamorphisme ». Il fit toute sa carrière d’enseignant-chercheur à l’Ecole de Géologie, comme Assistant (1959), Maître-Assistant (1965), Maître de Conférences (1970),puis Professeur (1976) jusqu’à sa retraite qu’il prit en 1998.

A l’Ecole il enseigna la cristallochimie et la minéralogie, la pétrologie du métamorphisme, certains cours de métallogénie, la physico-chimie et la thermodynamique classique appliquée aux Sciences de la Terre. Il dirigea également les stages de deuxième année en terrain cristallin, en Ardèche, de 1962 à 1995, soit pendant plus de trente ans, ce qui le rendit proche des élèves de l’Ecole. De plus il fut responsable du concours d’entrée à l’Ecole de Géologie de 1981 à 1994. Alain était très attaché à l’Ecole de Géologie, et à ses étudiants. Avec Jacques Fabries et Jacques Touret il fut le promoteur d’une vision nouvelle en pétrologie et contribua grandement à l’introduction des sciences dures dans l’enseignement de l’Ecole.

Après sa thèse il fit sa recherche au Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CNRS) de Vandoeuvre lès Nancy. D’abord pendant dix ans au sein de l’Equipe de Recherche sur les Equilibres entre Fluides et Minéraux qu’il fonda avec Jacques Touret et moi en 1969, puis à partir de 1979 au sein de sa propre équipe. Au sein de ces équipes il travailla à la pétrologie, l’étude des inclusions fluides, l’expérimentation à haute température et haute pression, et la métallogénie des gisements de départ acide : étain et tungstène, et les porphyres cuprifères en particulier. Et il forma de nombreux chercheurs. Il fut enfin accueilli pendant l’année universitaire 1972-1973 au Geophysical Laboratory de Washington comme Staff Member, où il travailla sur l’équilibre grenat-cordiérite (influence des teneurs en eau et en Mn).

Je me rappelle encore de notre première réunion, en 1969, pour définir le projet de notre future collaboration. Sans détour il me dit brutalement : « Tes inclusions fluides c’est bien, mais tant qu’on n’aura pas leur composition chimique on ne pourra rien en faire, rien calculer. Elles ne servent donc à rien ! ». Je savais bien qu’il avait raison, mais en 1969 je ne voyais pas comment on pouvait faire une analyse chimique quantitative de fluides contenus dans des cavités de quelques dizaines de microns cubes … Mais la semonce avait porté : deux ans plus tard nous montions au CRPG un laboratoire qui permit de commencer à traiter ce problème.

Ses publications furent d’abord d’ordre pédagogique : nouvelle édition du « Petit Roubault  » la détermination des minéraux au microscope polarisant », en collaboration avec Jacques Fabriès et Jacques Touret, sous la direction de Marcel Roubault (1963), le livre de « Thermodynamique de base pour minéralogistes, pétrographes et géologues », écrit avec Raymond Kern, paru en 1964 et traduit en russe (1966) et en anglais (1967), qui lui valut aussitôt une grande aura internationale. Très en avance sur son temps, ce livre fut imité des années plus tard dans la littérature anglo-saxonne. En fait il constitue la première application de la thermodynamique à l’étude des équilibres minéralogiques, base de toute étude moderne sur le métamorphisme.

Alain s’est alors comporté, et à cette époque c’était inhabituel, comme un exemple particulièrement équilibré de chercheur confrontant :

– le terrain : analyse pétrographique et structurale, acquisition de données analytiques

– l’utilisation des données expérimentales, qu’il acquiert quand elles n’existent pas

– la modélisation des mécanismes proposés.

Au milieu des années 70 toute son activité s’est alors tournée vers l’étude du rôle des fluides crustaux dans les phénomènes métamorphiques, hydrothermaux et tardimagmatiques
Dans le domaine des fluides crustaux Alain s’est intéressé à la topologie des systèmes H2O-sels, aux phénomènes d’immiscibilité et de mélange de fluides comme cause du dépôt des métaux, au métamorphisme alpin, au métamorphisme hydrothermal océanique, aux phénomènes métasomatiques dans le métamorphisme basse pression, aux constantes d’équilibre dans les minéraux des roches ultrabasiques, à la calibration du géothermomètre K/Na des fluides en équilibre avec les feldspaths alcalins, à l’équilibre cordiérite-tourmaline, à la teneur en B des fluides hydrothermaux naturels, etc … La plupart de ces publications furent faites avec des collaborateurs, collègues ou étudiants.

Il fut membre élu du Comité National de la Recherche Scientifique de 1976 à 1981, et du Conseil National des Universités (section : géologie profonde), qu’il présida pendant un mandat. Il était membre de nombreux comités de recherche scientifique nationaux (en particulier en métallogénie) et internationaux (Mineral Thermodynamics). Il portait un grand intérêt à la Société Française de Minéralogie et Cristallographie.

Alain voyageait beaucoup, pour ses recherches sur le terrain (Europe, Maroc, Indonésie), mais aussi pour participer à des colloques et congrès ou pour donner des conférences (USA, URSS, Europe). Il enseigna dans plusieurs écoles d’été et d’hiver, et trois congrès de l’OTAN « Volatiles in metamorphism » en 1974 (France-Suisse-Italie), « Thermodynamics in Earth Sciences » en 1976 (Oxford) et « Geochemistry of Hydrothermal Ore-forming Processes » en 1987 (Espagne). Il fut l’un des fondateurs du symposium bisannuel « Experimental Mineralogy, Petrology and Geochemistry », dont il organisa la première réunion à Nancy en 1986.

Alain était marié et père de trois enfants. Proche de la nature il pratiqua durant toute sa vie l’escalade, en France et en Corse. Il était féru de musique, et aimait jouer au piano.

Sa maladie ne fut diagnostiquée qu’en 1997, mais elle l’avait atteint probablement dés avant 1990. Elle fut un calvaire pour lui et sa famille à qui nous exprimons toute notre sympathie.

C’est une figure brillante de la Pétrologie et de la Métallogénie qui nous quitte, qui aura marqué par son enseignement et sa recherche, mais aussi par son approche de la vie, de nombreuses promotions d’élèves de l’Ecole de Géologie, et de nombreux jeunes chercheurs.

Bernard Poty